Notre-Dame de Paris > une violente piqûre de rappel !

Par notre métier de tailleur de pierre, nous avons fait le choix de grandir et de vivre dans l’ombre de nos précieux monuments qui nous enseignent labeur et foi qui animaient nos Anciens et qui animent toujours nombre des gens qui travaillent pour le patrimoine en faisant le choix de métiers exigeants.

Au-delà des poncifs dont nous abreuvent les médias et de l’émoi mondial suscité par ce choc, nous pouvons constater la perte de repère sur les fondements de notre culture traditionnelle. En voici les raisons objectives :

  • Tout d’abord les chiffres : le budget national dédié à la restauration des monuments historiques est de 900 millions d’€uros pour l’année 2018 sur un budget du ministère de la culture de 10 milliards d’ €uros soit un peu moins de 10% pour nos monuments.  Voir le document publié par le gouvernement (PLFCulture2018_chiffres-cles), les fonds récoltés s’élevaient déjà à 600 millions d’€uros en moins de 24 heures soit les deux-tiers du budget national !! (Pour mémoire le budget de la restauration de la tour Montparnasse est de 300 millions d’ €uros, à lire ici , un tel incendie provoquerait sûrement la chute de la tour !)
    • Concernant les travaux de pierre, d’après mon calcul en intégrant la chute des trois voûtes (transept nord, transept sud et croisée des transepts) cela représente une surface de 650 m2, sur cette surface il convient d’appliquer un coefficient de majoration liée à la géométrie des voûtes de 50 % cela donne une surface d’environ 1000 m2, voir croquis ci-dessous, en rouge surface prise en compte, merci à Chigirinsky pour le modèle 3D). Les voûtes faisant en général 30 cm d’épaisseur si nous comptons 50 cm nous avons un volume de pierre de 500 m3 (inclu arcs diagonaux). Le volume d’extraction des carrières du bassin Parisien est d’environ 10 000 m3/an soit 20 fois le volume nécessaire. Donc pas d’inquiétude sur ce point, cela représente entre 3 à 5 années de chantier suivant l’effectif retenu pour les travaux. Nous sommes loin des dizaines d’années annoncées partout. Pour mémoire la cathédrale de Nantes a subi le même outrage en 1972,  il serait intéressant de voir les volumes de pierres engagés pour cette restauration et le destin des voûtes après cet incendie.
    • Les voûtes de pierre sont protégées en extrados (dessus des voûtes) par un mortier de plâtre et/ou de chaux de plusieurs centimètres d’épaisseur qui isole la pierre du choc thermique de l’incendie je ne connais pas la tenue au feu de cette couche : là aussi, il serait intéressant de connaître le retour d’expérience sur l’incendie de la cathédrale de Nantes.
  • Pour les travaux de charpente je n’ai pas d’idée précise sur les volumes à mettre en œuvre et ne ferait donc pas de commentaires. Je sais que les sections des bois de charpentes sont énormes et comparables à celles de la Sainte-Chapelle de Vincennes (photo ci-dessous).
  • Enfin, il est temps de prendre conscience que nous n’avons pas de logiciel de calcul de structure adapté à notre matériau et que bientôt les chantres du béton vont se manifester pour satisfaire normes et contraintes de calculs dont notre métier a fait l’impasse faute de moyen et de sa relégation dans le cadre de la restauration du patrimoine. Est-ce peut-être l’occasion de remettre les pendules à l’heure et d’engager la matière grise nécessaire pour la mise au point d’un tel logiciel (l’université de Montpellier à travers son laboratoire est en pointe sur ce sujet). Posons aussi la question de l’enseignement dans les écoles d’architecture > quelle place pour nos matériaux ?  et que penser du nombre d’architectes formés (1200/an) en rapport avec le nombre de tailleur de pierre qualifié (CAP + 5ans) ( 10/an). Le sabordage des métiers entrepris depuis les années 1930 arrive à sa fin faute de combattants. No comment !

Pour conclure, ce drame met en évidence la résilience de notre matériau de prédilection et n’oublions jamais que la transmission des métiers et des savoirs-faire est plus importante que la disparition inéluctable des bois et des pierres. Dans quelques années ce mauvais souvenir laissera place à de nouvelles générations qui auront été formées sur ce chantier et auront à cœur de transmettre à leur tour l’esprit qui règne dans ce lieu puissant.

Gilbert Margueritte

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